Remarquée sur des titres de DandyGuel et A2H, Mme Sow sort son premier disque en solo sur le label d'A2H, Palace. Retour sur le parcours d'une chanteuse pétrie de talents, qui se définit comme une "franco-haitiano-étasunienne". Voyage en Moonriding avec une chanteuse à la voix d'or.
Tu es née dans le New Jersey. Peux tu nous raconter tes souvenirs de cette période de ta vie aux USA ? A t elle influencée tes goûts musicaux ?
Je suis née à Trenton, dans le New Jersey. Je n'y suis pas restée longtemps, à peine deux ans. Je n'ai presque pas de souvenirs, si ce n'est quelques photos.
En revanche, j'y suis retournée tous les étés de mes 5 à mes 15 ans. J'ai tout découvert aux USA en terme de musique, de mode et de tendances. Je me souviens avoir découvert Sasha (Ash en anglais si mes souvenirs sont bons) et les Pokemon au moins 3 ans avant qu'ils ne débarquent en France. Tout comme je portais des Adidas Superstar 2 ans avant tout le monde. J'ai découvert Usher avant, Alicia Keys avant, etc. Evidemment, les Etats-Unis n'ont pas été tout de suite "mon pays". Avec ma soeur d'un an et demi ma cadette, ce voyage estival tous les étés était comme la (re)découverte de l'Eldorado. Rien ne ressemblait à la France, ou en tout cas à La Courneuve et Cergy Pontoise - les deux villes où nous avons grandi. Tout était précieux, un peu comme dans un rêve.
Les USA ont influencé mes goûts musicaux. J'adore le rap US, et je pense que ce sont aussi ces longs séjours tous les étés, qui m'ont donné ce goût pour la musique nord-américaine. Ils ont aussi influencé mes choix personnels en tant qu'artiste.
Peux tu nous décrire les lieux, les gens, les évnements, qui t'ont marqué à La Courneuve ?
J'ai grandi dans un petit pavillon à La Courneuve, près du Bourget et de Drancy à deux pas du métro de la ligne 7 dans le quartier qu'on appelle "8 mai 1945". J'ai de beaux souvenirs de ce quartier qui lui n'est pas si beau, visuellement. D'autant qu'il a changé tout au long des années où j'y suis restée. Ce que j'ai le plus aimé à La Courneuve c'est la diversité des visages et des couleurs. Mon voisin de droite était portugais, celui de gauche italien, celui d'en face franco-portugais. A deux maisons, ils étaient chinois, et deux maisons plus loin, pakistanais. Dans mes classes, en primaire, il y avait des chinois, des serbes, des maghrébins, des africains, des antillais, des français, des italiens, des portugais, des libanais. C'était beau et personne ne se souciait vraiment de la culture, de la religion, des origines etc. des uns et des autres. On était ensemble et c'était juste bien d'être ensemble. Je regrette vraiment beaucoup cette époque quand j'allume la TV aujourd'hui.
Mon quartier était le plus tranquille de la ville parce que pavillonnaire et excentré. On a souvent donné une réputation (qu'elle s'est certainement créée...) à cette ville. A titre personnel, je n'y ai jamais vu ce qu'on pouvait entendre de La Courneuve. Les gens y sont solidaires, souriants, et communicatifs. Oui il y a eu de la violence, mais où n'y en a t il pas ? Il y a énormément de projets associatifs et de 1995 (quand j'y suis arrivée de Cergy) à 2013 quand j'en suis définitivement partie, j'ai vu au moins 10 La Courneuve différent. La ville a tellement changé. Les communautés aussi y ont changé. Elle s'est urbanisée, socialement, architecturalement et même en terme de transports. Mais ce qui y est resté tout au long, c'est l'humanité. Et pour cela, je resterai toujours profondément attachée à cette commune.
As tu découvert le chant en France ou aux États Unis ? Quel a été le déclic pour que tu deviennes chanteuse ?
Je l'ai découvert ici et ailleurs, je pense. J'ai été très jeune plongée dans la musique. D'une part parce que mon père est un mélomane qui écoutait autant Kool & the gang, que les Fugees, Nelson Ned ou les Tabou Combo (surtout cet album qu'on a saigné). Il n'y a pas un seul Dimanche que l'on a pas passé en musique à l'époque.
D'autre part parce qu'on a été inscrits très jeunes au convervatoire. Toute la fratrie est musicienne. Mon frère joue du piano, de la guitare et de la basse, il a même été soliste à la Maîtrise de Paris (avant qu'il ne mue) du Conservatoire de Paris. Ma soeur est pianiste. La toute dernière de 10 ans est pianiste et s'initie aux percussions (batterie notamment).
A titre personnel, j'ai commencé le piano à 6 ans. J'avais aussi droit aux cours de solfège et aux cours de chorale. C'est certainement là que j'ai appris à chanter. Je n'ai jamais pris de cours particuliers de chant (mais j'y pense !).
J'ai commencé à faire des covers aux USA avec ma soeur, les étés où on partait. On n'avait clairement pas grand-chose d'autre à faire, alors on s'amusait à écouter des titres en boucles et à écrire les paroles et les chanter. Notre 1ère cover, c'était "The boy is mine" de Brandy & Monica. Je n'ai pas pu retrouver la vidéo, mais elle valait bien le détour :).
J'ai toujours voulu chanter, au fond. J'ai toujours aimé chanter. Et il ne se passe pas une journée sans que je fredonne, sans que je n'écoute de musique. Mais mes parents étaient très stricts : "L''école d'abord. Tu seras chanteuse quand tu m'auras ramené un diplôme". Il n'a donc jamais été question d'être chanteuse ou une star ou quoique ce soit.
J'ai donc été à l'école, et ai donc ramené les diplômes, ai trouvé un travail. Classique.
C'est vraiment après que la musique est "revenue" disons dans ma vie (même si elle l'a toujours été).
Plus tard, pendant mes études, j'ai rencontré fortuitement A2h et c'est lui qui m'a littéralement jetée dans ce grand bain.
Je considère avoir toujours été chanteuse dans le sens où il ne se passe pas une seule journée sans que je ne chante.
Tu chantes essentiellement en anglais, sauf lorsque tu effectues un featurings avec des rappeurs ? Pourquoi ce choix ?
J'ai appris à parler en anglais. Ma voix sonne différemment quand je parle français et quand je parle anglais. Elle sonne aussi différemment quand je chante en français ou en anglais. Disons que pour moi le Rnb et la Soul sont des musiques anglophones. J'ai du mal avec le Rnb en français. Je trouve que ça passe toujours mieux en anglais. Accessoirement, j'ai aussi du mal avec le timbre de ma voix en français. Naturellement quand j'entends une production. L'idée, les mots, l'écriture me viennent en anglais. Mais ce n'est pas toujours le cas. Et je compte bien mettre à l'honneur le français (que j'adore!) sur mon prochain projet.
C'est vrai que les feats sont en français et je n'ai pas vraiment d'explications. Dandy avait insisté pour que le refrain soit en français sur Ma grande. Pour Ambassadeurs du love, je ne sais pas. La prod m'a inspiré et c'est sortie en français. Sans regrets. Pour autant, sur les précédents projets d'A2H sur lesquels j'ai apporté ma contribution, j'ai posé des refrains en anglais (Mme Middle class, ou Mon rap par exemple).
Tu es originaire de Haïti. Es tu retournée là bas ? La culture haïtienne a t elle une influence sur toi ? Si oui, donne nous des références qui t'ont marqué ? La musique haïtienne (notamment le Kompa) a t elle une importance dans tes influences musicales ?
Mes parents sont effectivement nés en Haïti. Je n'y suis jamais allée. Chaque fois que c'était en projet, un nouvel incident là-bas nous a fait remettre nos plans. Je compte y aller avec mon père l'année prochaine et j'ai hâte. Mes parents, surtout ma mère, y retournent régulièrement. Chaque fois les photos de leur séjour me laissent sans voix. C'est un pays magnifique. Et les haïtiens sont humbles.
J'ai l'habitude de dire en anglais : I was born American, raised Haitian and taught (how to be) French.
Traduction : Je suis née américaine, élevée (à l')haïtienne, et on m'a inculqué l'art d'être française.
Je me sens totalement franco-haitiano-étasunienne. Je vis comme une française, avec une mentalité totalement nord-américaine et des valeurs et une culture totalement haïtiennes.
Cette culture haïtienne très riche est une partie de mon lifestyle. Je peux mourir pour une assiette de grio pikliz !
Il ne se passe pas un jour sans que je n'écoute du kompa. Cette musique, ses sonorités, ses voix, ses formations instrumentales m'ont toujours fascinées ! Je me suis même acheté une Keytar parce que j'avais vu des lives de kompa où les artistes jouaient de cet instrument sur les parties instrumentales. Je suis fan !
Je crois être tombée amoureuse du kompa sur l'album Unity de Tabou Combo notamment sur la chanson Feel Good. Ce début rock & roll qui glisse tout doucement sur une rythmique kompa. Cette musique est de l'art pour moi . Les musiciens sont tellement doués. J'ai pas mal orbité dans des groupes de personnes originaires des Antilles françaises. Forcément j'ai beaucoup écouté de zouk et de dance hall (je suis d'ailleurs fan de reggae et de ragga). Les sonorités afro-caribéennes m'ont toujours plu. Je pense qu'il y a beaucoup de ça aussi dans mes influences. Pourquoi pas toaster comme RIhanna dans Work ou Rude boy sur une prochain track ?
Concernant le kompa plus particulièrement, j'aimerais bien faire quelques reprises sur scène. Et pourquoi pas un jour sortir une chanson de kompa ? J'adorerais.
Tu chantes en créole sur le titre Papa Loco. Serais tu prête à réaliser un disque entier en créole ?
Papa Loco est une chanson traditionnelle vaudou. J'adore cette chanson et j'avais envie de mettre un peu de cette culture vaudou que personne ne connaît mais dont tout le monde parle paradoxalement. Il y en a énormément d'autres de chansons vaudous et leurs sonorités m'inspirent beaucoup. J'ai peut-être dans l'idée de sortir une mixtape exclusivement de chansons traditionnelles haïtiennes. Mais j'ai pas mal de recherche à faire avant. Mais oui, aucun problème à réaliser un projet totalement en créole. j'ai baigné dans cette langue et dans ces sonorités. Je me les suis complètement appropriées en plus de les adorer.
Aujourdhui tu vis à Paris. Qu'aimes tu et déteste tu dans cette ville ?
J'aime sa diversité. J'aime son architecture. On vit vraiment dans l'une des plus belles villes du monde.
Mais je déteste son hypocrisie, les groupes de personnes qui restent perpétuellement entre eux, et, ne vont pas à la rencontre des autres (c'est typiquement parisien). Je n'aime pas ses soirées monomaniaques (100 clubs d'électro house pour 1 club de funk 1 club de musique latine 1 club de hip hop 1 club de rock).
Je n'aime pas son héritage catholique, et pourtant je le suis. On ferme tout le dimanche. On ferme tout le lundi.
Je pense qu'on est en retard socialement, économiquement, politiquement & culturellement en France, et a fortiori davantage à Paris, puisque c'est là qu'à peu près tout se passe. Il nous manque quelque chose... et comme personne n'y fait rien, les jeunes vont chercher ce quelque chose ailleurs (Australie, Canada, USA, Asie...). C'est dommage.
Tu as signé sur le label de A2H Palace. Raconte nous ta rencontre avec A2H. Pourquoi avoir signé sur son label ?
La rencontre avec A2H est vraiment drôle. J'ai passé mon BAFA il y a quelques années de ça. Spécialité "Culture Hip hop". On avait notamment des ateliers de danse hip hop, de DJing, et d'écriture. L'animateur qui tenait l'atelier d'écriture m'a demandé si je serais capable de chanter ce que j'avais écrit. A la suite de l'atelier il m'a proposé de rejoindre son groupe de slam en tant que choriste. Il s'avère qu'A2h était à l'époque le bassiste de ce groupe. Voilà comment on s'est rencontrés. On a fait quelques scènes ensemble avec ce groupe et je suis partie vivre en Espagne, pour mes études. On a gardé contact avec A2h et à mon retour de mon projet Erasmus, il m'a demandé de venir poser quelques couplets/refrains sur quelques titres (l'homme de ta vie en fait partie, par exemple). Je faisais ça par plaisir et parce qu'Antonin est un pote de longue date avec qui j'ai toujours bien rigolé et énormément partagé. Puis un jour, il m'appelle pour me demander quelques infos pour la SACEM. j'étais un peu perplexe... C'est là qu'il m'annonce qu'il sort un album et que ma voix était sur certains titres. C'était en août 2012. Bipolaire est sorti en septembre et à compter de cette date je faisais officiellement partie du Palace. Je suis ainsi devenue sa choriste sur scène. J'ai tourné partout en France et ailleurs avec lui. Ca compte parmi mes meilleurs souvenirs.
La suite était évidente. C'est A2H qui m'a donné l'idée d'écrire une première chanson, puis une seconde, et puis un EP. C'est donc tout naturellement que j'ai signé ce premier projet sur Palace Prod.
Peux tu nous donner une définition du Moonriding ?
Moonriding c'est un lifestyle. Je pense que le monde entier irait mieux s'il ridait la lune.
Amour, partage, empathie, sérénité, paix, solidarité, etc. Toutes ces valeurs dont je transpire... Pour moi rider la lune c'est vivre ce que l'on aime et aimer vivre ce qu'on l'on aime. J'avais écrit tout un monologue là-dessus sur mon blog. Bonne lecture !
Pour le clip Riding To The Moon, vous avez tourné à Paros et aux Courtilières à Pantin. Pourquoi avoir opté pour ces endroits ?
C'est vrai que c'est un combo particulier. On a trouvé avec Hugo Bembi, le réalisateur de ce clip, que mes couplets étaient super métaphoriques, très aériens... il fallait que les gens comprennent l'idée. C'était de tout quitter pour vivre une "vraie" vie, loin du bitume, loin du gris parisien, loin des obligations. Rider la lune c'est aussi ça, c'est vivre, c'est danser sur la plage, c'est marcher pieds nus dans un cimetière et juste kiffer...
J'ai un ami en or, mon deuxième papa à qui je fais une grosse bise, qui m'a fait découvrir cette superbe île dont je suis tombée amoureuse il y a 3 ans, et j'avais envie de clipper là bas. Les Courtilières c'est une cité que j'ai toujours trouvé impressionnante, graphique, chimérique presque à 4 patés de maisons de la maison où j'ai grandi. J'ai pensé que la partie de Kenyon (contrairement à la mienne) était très explicite. En un couplet il résume ce qu'on peut peut-être moins comprendre dans mes 2 couplets. Il fallait que les images rejoignent le concret des mots de Kenyon. Je trouve le résultat parfait.
Dans le même clip, tu portes des vêtements de la styliste Anais Durand Munyankindi. Peux tu nous parler de cette collaboration et votre relation artistique ?
Je corrige. Ce ne sont pas les vêtements d'Anais, mais c'est elle qui les a choisis avec la rigueur qu'on lui connait.
Anaïs est non seulement ma styliste mais aussi et surtout une amie très proche. Je lui dois beaucoup sur l'ensemble du projet. Elle m'a aidé notamment à définir l'univers artistique, l'univers colorimétrique et aussi les fashion codes de Mme Sow. Cette femme est très douée, elle a l'oeil et je la trouve très futuriste dans ses idées, tout en respectant l'artiste et ses desiderata.
Elle m'a beaucoup photographié et m'a aidé à sélectionner les styles, les codes, les couleurs, qui me correspondaient le mieux. On a fait ce voyage de 15 jours à New York en mai 2015, qui a concrètement tout scellé sur la suite de Mme Sow.
Pour le clip, on a notamment fait appel à Bazara'Pagne, et c'est Anais qui a choisi les modèles que je porterais dans le clip. Les autres Outfit, Anais les a choisis en fonction des plans qu'on avait arrêtés avec le réalisateur.
Pourquoi avoir choisi comme pseudonyme Mme Sow ?
Je ne l'ai pas choisi ! Lorsque je tournais avec A2H sur scène, il y a toujours eu ce moment où il présente ses musiciens ou son backing band. Tout le monde avait un pseudo sauf moi ! Un jour il a dit au micro "je suis pas venu tout seul, je suis venu avec ma chanteuse Mme Sow...". Et il ne l'a plus lâché. Je l'ai gardé. Et ma foi, il me va plutôt bien, je trouve.
Enfin la suite de Mme Sow ?
J'ai plein plein de projets. Sûrement trop ! haha
Déjà faire des scènes, je prépare mon band de musiciens parce qu'il n'était pas question de jouer sur scène avec une bande son !
Puis sortir une mixtape ou deux avant un album idéalement en 2018.
La suite au prochain épisode.
Mme Sow ♪
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